Les maraudes ? "Une ouverture sur la réalité, le souci de l'autre"
Amandine, mariée 3 enfants, animatrice dans une association d’éducation populaire est bénévole engagée dans l'équipe du Secours Catholique de Quimper pour les maraudes depuis un an. Elle en parle.
« Au départ c’est quelque chose de très simple : proposer des boissons chaudes à des personnes qui sont à la rue ou dans des situations précaires. Puis, on se rend très vite compte que le support du café ou de la soupe est un prétexte pour entrer en relation avec les personnes. Depuis bientôt un an que je participe aux maraudes, je vois bien que le relation se construit et qu’il y a une confiance qui s'installe, qu’ils nous attendent, c’est ça qui est intéressant.
Qu’en retires-tu ?
L'ouverture sur la réalité, parce que même si on sait qu'il y a des personnes qui vivent dans la rue, on peut parler de chiffres, on peut se renseigner, s’informer. Mais côtoyer les gens dans la rue, c’est autre chose. On se prend une claque en pleine figure, c'est ça qui est difficile, c'est de l'humain. Quand on part comme ce matin on se dit, qu'il fait froid. Il est 9 heures on est au café solidaire. En allant garer ma voiture, c'est le froid qu’on ressent dans les mains, sur le visage. Puis vient la question à propos des personnes qu’on rencontre et qui restent la nuit dehors par ce temps là : mais comment font-elles ? C'est tout ça qu’on ramène chez nous : le souci de l'autre.»
Depuis un an que tu fais les maraudes à Quimper, croises-tu toujours les mêmes personnes ?
« Ça bouge un petit peu, mais pas tant que ça. C’est pour ça que petit à petit, on connait leur prénom puis les métiers qu’ils ont exercés, on sait s'ils ont une famille, comment ils en sont arrivés là, et c'est ça aussi qui fait qu’on s'attache à eux et qu'on se demande ce qu’on peut faire de plus. Et là, c'est compliqué ! »
Tu as une famille, des enfants,un métier, comment trouves-tu le temps de venir à la rencontre des personnes dans les maraudes ?
« C’est une question de choix, de priorité. En plus, je fais partie de plusieurs associations, en tant qu’administratrice aussi. À un moment, il faut agir, il faut se donner ça comme temps, et tout le monde peut le faire, peut se poser la question : est-ce que je vais faire du sport ou est-ce que le samedi matin je vais faire des maraudes ? À un moment donné c'est un choix. »
Qu’est-ce qui a déclenché ta décision de rejoindre la maraude ?
« Ça peut faire sourire, mais dans ma famille en Belgique, on se fait des cadeaux "faits main", et donc on se pioche l’un l’autre. Je suis tombée l’année passée sur mon beau frère qui travaille avec les sans-abris en Belgique, à Tournay. Dans ma famille on essaie toujours que ces cadeaux "faits main" soient peut être des moments partagés. L’année d’avant, c'était lui qui m’avait piochée, il avait offert un don à Oxfam, l’association dans laquelle je travaille, on est beaucoup sur l'international aussi. Cette année-là, comme je l’avait pioché, je me suis dit que je pourrais donner du temps aux sans-abris à Quimper, et j’ai mis le pied, j’ai fais une maraude et je continue. »
C’est une affaire de famille ?
« Oui, c’est un engagement, en Belgique à Tournay, ils sont confrontés à une autre réalité en ce moment : les migrants qui partent pour Calais, les clandestins. Ce qui a déclenché le fait de prendre le numéro de téléphone du Secours Catholique pour entrer en contact avec les maraudeurs, c’est qu’une jeune femme est morte à Tournay au mois de décembre 2020, et comme elle était française, elle n’avait pas droit au système d’accueil belge, ça ma révoltée, une jeune femme de 30 ans qui meurt sur un banc, c’est inacceptable ! »
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans une maraude ?
« Prendre le temps, essayer aussi de repérer dans le regard des personnes, celles qui ont besoin d’une attention. Certaines personnes n’osent pas venir et c'est donc à nous d’aller vers eux. C'est dur de demander de l’attention. C’est notre rôle de voir ça, d’aller vers les personnes. C’est par le regard qu’on voit ça souvent, l’attitude, le comportement. »
As-tu été confrontée à des actions, des moments délicats, difficiles ?
« Oui, il y a une maraude qui a été difficile au centre ville, la police a dû intervenir, il y a eu une bagarre entre personnes. Et c’est désagréable, on aime pas voir la police débarquer. Par contre, jamais je ne me suis sentie en insécurité, jamais. Une autre fois, je me souviens d’avoir revu quelqu’un qu’on voyait souvent, mais avec le visage dévasté, il avait certainement dû se battre, ses yeux étaient complètement tuméfiés, le visage aussi, les dents cassées, les mains toutes écorchées...c’est terrible ! Je suis revenue avec ça chez moi, je me suis demandée ce qui avait bien pu le mettre dans cet état là. »
Ce n’est pas compliqué de faire la part des choses, de laisser ce que tu as vu, vécu sur ton palier, et de retrouver les tiens ?
« Oui c’est difficile, maintenant voilà, ça fait partie des choses, par contre j’entraine toute ma famille dans cette histoire, mes enfants sont très petits mais ils savent très bien ce qu’est une maraude, ils me demandent : qui tu as vu aujourd'hui ? Et je leur explique. On distribue de temps en temps des chaussures, des ceintures ou quoi et je demande aux copains, aux copines et les enfants me disent : tiens maman, ça c’est pour Patrick, et ils mettent ça dans la voiture, donc voilà ils savent très bien. Oui, je pense que ça fait partie des choses, c’est une sensibilisation, c’est mon travail je suis animatrice à l’éducation à la citoyenneté, donc la sensibilisation aux inégalités sociales fait partie de mon travail, mais par contre les maraudes, c’est plus concret, du coup je trouve que ce qui est intéressant, j’en parle beaucoup autour de moi auprès d’amis, et ça ouvre aussi les yeux à beaucoup de monde en fait, c’est important. »
Que dirais-tu à de futurs bénévoles qui pourraient rejoindre les maraudeurs ?
« Faites-le, parce que, avec le retour qu’on en a, on se sent bien, on se sent mieux, plus en accord avec soi même. Si on hésite, c’est qu’on a envie de faire quelque chose, et à un moment donné, on passe le pas. Prenez le téléphone, le Secours Catholique est très réactif, on est tout de suite accueilli, on est tout de suite accompagné pour faire les maraudes. C’est agréable de se sentir accompagné dans ce chemin d’engagement. »
Imaginons que l’on te donne une baguette magique, quelle est la première chose que tu fais ?
« Construire des logements, ou proposer des logements. Ce qui est intéressant en ce moment, c’est qu’on rencontre les différentes associations qui travaillent sur la question du logement et on voit qu’il y a un réel problème. Je ne sais pas si on peut dire systémique, mais un réel problème de disponibilités de logements, de construction de logements, et ce n’est pas parce que les personnes en sont arrivées là qu’elles l’ont voulu. C’est parce qu’il y a vraiment un problème de logement, et d’accès au logement. À un moment donné, il faut une régulation c’est tout. Sans logement, pas d’accès au travail, on ne peut pas loger sa famille. C’est le début le logement, c’est le droit sur lequel il faut accéder pour ces personnes là. »